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2021: année européenne du rail

La Commission a proposé que 2021 soit désignée comme « année européenne du rail ». Cette décision a été approuvée par le Parlement européen le 15 décembre 2020. En effet, 2021 sera la première année d’application du 4ème paquet ferroviaire. Ce paquet législatif créé en 2013 regroupe toute une série de réformes ayant pour but d’améliorer la qualité de service, de réduire les coûts et d’augmenter l’interopérabilité au sein de l’espace ferroviaire européen. Il met en place la progressive libéralisation des monopoles ferroviaires publics des Etats membres en les ouvrant à la compétition. De plus, le développement de ce mode de transport plus vert rentre dans les considérations de la Commission pour atteindre son objectif de neutralité carbone européenne d’ici 2050. Notre organisation met un point d’honneur à promouvoir le développement durable, le rapprochement culturel – en somme l’intégration européenne – et c’est dans ce cadre que nous ferons une analyse de la politique ferroviaire de l’UE tout en nous penchant sur cette année particulière. La jeunesse est plus que concernée par sa question en ce qu’elle héritera du monde de demain. C’est pourquoi nous proposons au sein de dossier une étude des solutions qui pourraient être envisagées par l’UE afin d’atteindre les objectifs qu’elle s’est fixée. Enfin, nous aurons l’occasion dans une dernière partie de développer l’idée d’intégration européenne par le train et le rapprochement des cultures induit par de telles politiques. 

Présentation des émissions CO2eq au sein de l’UE

Alors que la Commission européenne a adopté le pacte vert européen visant à atteindre un bilan carbone neutre dans l’économie européenne d’ici 2050, il sied de mener une investigation sur l’état actuel des émissions CO2eq au sein de l’espace économique européen (EU27) afin d’évaluer les actions entreprises par l’UE27 pour atteindre l’objectif du Zéro – Emission CO2eq[1]. Une rapide analyse sur la répartition sectorielle dans le monde montre que le secteur des transports est le deuxième poste d’émission du CO2eq. Au sein de l’UE27, le transport de passagers et de marchandises est responsable d’ environ le tiers des émissions CO2eq.

Par conséquent, dans le but d’atteindre la neutralité carbone, l’UE27 devra concentrer ses efforts en “verdissant” les moyens de production d’énergie et les transports car ce sont les deux secteurs qui ont un grand apport sur le bilan carbone de l’UE. Dans ce contexte, la commission européenne a décrété 2021 comme étant l’année européenne du rail. Le rail étant le moyen de transport qui répond à la fois aux problématiques de transports et  de productions d’énergie durable dans la mesure où le réseau ferroviaire européen est un grand poste de consommation d’énergie. 

[1] CO2eq : L’équivalent CO2 (abréviations : eqCO2, éq. CO2, CO2e ou CO2-eq) est, pour un gaz à effet de serre, la quantité de dioxyde de carbone (CO2) qui provoquerait le même forçage radiatif que ce gaz, c’est-à-dire qui aurait la même capacité à retenir le rayonnement solaire Wikipédia


Présentation des émissions dans le secteur des transports : 

Le transport ferroviaire ne représente que 4% de la pollution CO2eq de l’UE27. Le train est alors le moyen de transport le plus protecteur de l’environnement. Malgré ses atouts environnementaux, il reste le moyen de transport le moins utilisé ( 7,6 %  de part ) par les citoyens UE. Ce pourcentage s’améliore légèrement lorsqu’on analyse le transport de fret où le train est utilisé 17% de temps mais bien loin de la route qui représente 76.4%. 

Par ailleurs, lorsqu’on compare les émissions des différents moyens de transports en analysant le C02eq/passager/km, l’on se rend aisément compte que le train est de loin le moyen de transport le plus propre.

Moyen de transportNombre de passagersÉmissions CO2eq/km/Passager
Avion88285
SUV Particulier1,5158
Voiture citadine1,5104
Moto1,272
Bus12,768
SUV Particulier455
Voiture citadine442
Train15614

Bien qu’ayant le meilleur ratio d’émissions par passager, le taux d’occupation moyen des trains au niveau européen reste faible. Il existe une disparité en termes d’occupation des trains selon qu’on étudie les trains intercités ou les lignes à grande vitesse mais en tenant en compte ces disparités, le train a un taux d’occupation moyen de 45%. Nous sommes donc face à un paradoxe écologique dans le sens où le moyen de transport le plus propre est celui le moins plébiscité de tous. 

Ce constat d’une faible adhésion aux trains est aussi vrai pour le transport des passagers que pour le fret. Nous sommes donc amenés à diagnostiquer et à comprendre les raisons de ce léger enthousiasme des citoyens européens et du fret à l’égard du train. 


Pourquoi les européens et le fret n’utilisent pas le train?

Il y a une disparité importante en termes de transport de passagers au sein de l’UE. Les pays comme l’Autriche, la Suède, la France et l’Allemagne ont un meilleur taux de transport de passagers par km en train alors que les pays de l’Europe de l’Est sont les moins dépourvus en réseau ferroviaire. Ils sont aussi les pays les moins connectés au sein de l’UE par le train. Les pays ayant un bon réseau ferroviaire frontalier sont situés autour de l’Allemagne. 

Au-delà des connexions des lignes de trains, plusieurs causes relatives à la qualité des services de trains nationaux expliquent le faible taux de remplissage de trains. Les causes les plus fréquentes que manifestent les usagers de train lors des sondages pointent du doigts les retards, les annulations et les prix. Il y a aussi de nombreuses villes de plus de 10 000 habitants qui ne sont pas desservies par des lignes à grande vitesse. 

Le constat n’est pas plus positif concernant le transport de marchandises où la quantité de marchandises transportées au km en train reste relativement constante. Cela s’explique par le manque de réseau ferroviaire transfrontalier performant. Les transporteurs préfèrent la route pour la flexibilité logistique que cela représente. Pour comprendre cela, il est nécessaire de se pencher sur les politiques mises en place jusqu’à présent, autant dans le cadre national français que nous connaissons particulièrement bien qu’à l’échelle du continent.

Echelle nationale : Politique publique Française

Afin de mettre en relation les différents espaces du territoire, le rail est devenu un élément indispensable pour assurer le transport de population mais aussi de marchandises. Le transport ferroviaire, monopole d’Etat depuis de nombreuses décennies, constitue un coût important dans la balance budgétaire des services publics.

Dans le cas français, l’article 17 de la loi du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire se donnait pour objectif qu’à partir de 2015 « aucune partie du territoire français métropolitain ne sera située à plus de cinquante kilomètres ou de quarante-cinq minutes d’automobile soit d’une autoroute ou d’une route express à deux fois deux voies en continuité avec le réseau national, soit d’une gare desservie par le réseau ferroviaire à grande vitesse »[1]. Pour ce faire, le projet ferroviaire prévoyait d’allonger au maximum le schéma national des liaisons à grande vitesse déjà publié en 1992. L’objectif principal de ce plan d’investissement se targuait d’assurer la continuité et la complémentarité des réseaux tant pour les personnes que pour les marchandises. 

Bien loin des attentes, la politique publique ferroviaire connaît, dès la fin des années 90, une baisse de l’investissement nourrie par des incertitudes de rentabilité. En Juillet 1996, M. Philippe Rouvillois dresse un rapport concernant le schéma directeur national des lignes à grande vitesse. Sa conclusion était, en effet, la suivante : “Compte tenu de l’état des finances publiques, il est donc malheureusement très probable qu’il ne sera pas possible de réaliser dans les 15 à 20 prochaines années l’ensemble des infrastructures inscrites au schéma directeur, ni même l’intégralité de celles qui ont déjà donné lieu au lancement d’études préliminaires “.

M. Jean-Claude Gayssot, le 24 octobre 1997, indiquait, lui, sous forme de fadaise que “pour réaliser 2.300 kilomètres de TGV, il faut à peu près 200 milliards de francs de fonds publics (et que compte tenu des sommes disponibles) il faudrait quatre siècles ” pour réaliser le programme prévu par le schéma directeur. 

Cet ambitieux programme qui divisait il y a deux décennies assure aujourd’hui la structuration d’un maillage cohérent du territoire métropolitain.

Cependant, le débat public contemporain, investi par les nouvelles problématiques environnementales, fixe son attention sur la mobilité verte. Face à la prise en compte de l’urgence climatique, le train est devenu le moyen de transport le plus efficace pour réduire l’émission de CO2. De fait, la France tente de réorienter sa politique ferroviaire afin de s’aligner sur les mesures prises lors des meetings internationaux sur le climat (COP21, Pacte vert européen).

[1] (Source :  SÉNAT SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998)

Le groupe public ferroviaire fait du train, « le véhicule prioritaire de l’urgence climatique »

Exploiter le potentiel français

Aujourd’hui le FRET n’achemine plus que 9% du transport terrestre de marchandises : un trafic de 33,4 milliards de tonnes-kilomètres quand les camions en assurent dix fois plus, avec 300,7 milliards de tonnes-kilomètres. Certes, la transition énergétique peut consister à miser sur les bénéfices écologiques de la généralisation des modes doux (vélo, marche…), des nouveaux usages de l’automobile comme le covoiturage ou l’autopartage, mais cela ne suffira pas à inverser la donne. À ce jour, la vente de voitures électriques, bien qu’en progression, demeure marginale, représentant moins de 3 % du marché français au premier semestre 2019 et toujours moins de 1 % du parc en circulation (Source : AVERE-France, Juin 2019). Pendant ce temps, les émissions de GES par les motorisations classiques, tant essence que diesel, ne ralentissent pas, malgré les efforts des constructeurs. En 2018, la moyenne d’émission de CO2 par marque d’automobile s’élevait, en Europe, à 120,4 g de CO2 au kilomètre, en hausse – de 2 grammes – pour la deuxième année d’affilée[1].

Redonner l’avantage au train :

De fait, malgré le développement du covoiturage et le retour en grâce de la bicyclette en France, la production de gaz à effet de serre par les voitures particulières est repartie à la hausse (+0,8 %) entre 2015 et 2016 après avoir été difficilement stabilisée depuis 2004. Il en va de même pour les véhicules lourds qui ont sensiblement augmenté leurs émissions de GES sur la période récente (+0,7 %)[2]. Pour espérer une inversion notable et durable des courbes, un des leviers les plus efficaces reste, ainsi, de renforcer l’usage du train. Pour faire pression, plusieurs parlementaires prônent l’interdiction de certains vols intérieurs tandis que se multiplient les appels à des changements de comportement individuel : voyager moins, moins souvent, privilégier d’autres modes de transport.

Les experts du Shift Project, un think tank qui œuvre en faveur d’une économie libérée de la contrainte carbone, proposent pour leur part de « redonner l’avantage au train ». Ils se positionnent en faveur d’un développement des liaisons TGV entre les principales villes européennes, tout en améliorant le réseau conventionnel actuel, notamment par son électrification.

[1] Le Monde du 9 Juillet 2019

[2] données du Citepa, rapport Secten 2018

Le train, principal levier de développement économique et industriel

Complémentarité des modes de transport :

Comment réduire l’utilisation excessive du transport routier et développer le transport par train ? Pour les représentants cheminots, il s’agit de mener une politique globale, cohérente, avec une maîtrise publique de toute la chaîne. Un principe fondamental : La complémentarité des modes de transport à travers l’intermodalité. Ce processus, qui désigne l’aptitude d’un système de transport à permettre l’utilisation successive d’au moins deux modes, intégrés dans une chaîne de déplacement, doit garantir un cheminement « porte-à-porte », sans rupture entre les différents modes de transport utilisés au cours d’un même déplacement (voiture, tram, bus, vélo, train, avion, navette fluviale ou maritime).

Il existe deux types d’intermodalités :

  • Intermodalité-voyageur promue par l’échelon supra-national, depuis la signature du Traité de Rome comme l’un des moyens de réaliser l’intégration des réseaux de transports européens.
  • Intermodalité-fret liée à l’intensification et à la maritimisation des échanges mondiaux dès les années 1960, bien plus tôt que l’intermodalité-voyageurs qui ne s’impose que depuis les années 1990.

Les objectifs de l’inter-modalité sont triples : un meilleur service au passager pour le fidéliser, notamment grâce à la billettique combinée air-fer ; un avantage compétitif par rapport aux hubs et métropoles concurrentes dans la desserte de l’hinterland ou aire de marché, et une minimisation de l’impact environnemental. En décembre 2019, on dénombre en France 22 parcs relais (P+R) proposant 3 201 places de stationnement en entrées d’agglomération afin de faciliter l’intermodalité.

Échelle continentale : Quelle politique pour quel financement ?

Le transport ferroviaire dispose d’atouts incontestables et le regain d’intérêt qu’il suscite au sein de l’Union Européenne augure d’un possible renouveau de ce mode de transport victime pendant de nombreuses années de la concurrence de la route.

La politique européenne, tout en lui offrant de nouvelles perspectives de développement, entraîne dans son organisation de profondes modifications qui, au prix d’un effort d’adaptation, sont susceptibles d’en améliorer la productivité. Dans cette optique, les politiques globales que l’UE et les états membres devraient soutenir avec le Green Deal :

  1. Poser des jalons pour la décarbonisation des transports de l’UE en soutenant le passage au rail
  2.   Soutenir le passage au rail :

a)       Pour le Fret ferroviaire en particulier, élaborer en consultation avec le secteur, un plan d’action de l’UE et des mesures nationales

b)      Pour les passagers, soutenir le passage au rail, notamment dans le cas de traversées de trains et les déplacements à la frontière jusqu’à 1000 km

3. Promouvoir la tarification au coût social marginal (PSCM) dans les transports – c’est-à-dire mettre en œuvre le “pollueur-payeur” et l'”utilisateur-payeur”.

Pour financer ce projet écologique global, l’UE décompose son entreprise en 3 étapes :

  1. Augmenter de manière significative le budget du « Connecting Europe Facility (CEF) » pour les transports
  2. Fournir un financement solide pour la recherche et l’innovation dans le secteur ferroviaire
  3. Faciliter une augmentation des investissements privés dans les projets ferroviaires, par exemple par le biais du programme de financement durable de l’UE

            C’est dans une deuxième partie de notre dossier que nous allons nous pencher sur la mise en place de politiques en faveur du développement ferroviaire au niveau européen.

            L’Union Européenne dispose de nombreux leviers comme nous avons pu le voir ci-dessus pour mettre en place une politique ferroviaire ambitieuse. Dans l’objectif de réduire les émissions de CO2, en plus de favoriser l’utilisation du train, l’électrification du réseau est un point central sur lequel se questionner.

Electrification du réseau ferroviaire  

Dans le but d’améliorer le service de train, il pourrait être envisagé d’élargir le réseau ferroviaire européen en construisant de nouvelles lignes. Il existe une grande diversité en termes de lignes de trains en Europe. Le pourcentage moyen d’électrification des lignes se situe autour de 55% en gardant en tête la disparité entre les pays. Le Luxembourg possède près de 95% de son réseau ferroviaire qui est électrique alors qu’en même temps la Lituanie a moins de 10% de son réseau ferroviaire électrifié. Ainsi, en Europe, un train sur deux roule au moteur thermique plus polluant et plus dangereux pour la santé. Il existe donc un grand défi concernant l’électrification du réseau ferroviaire européen. Il est  généralement admis que les lignes ferroviaires électriques (TGV par exemple) sont les plus fiables, les plus rapides et les plus ponctuelles. 

Percentage of electrified network per country (2018) and change in the percentage of electrified network (2015 vs 2018)

Source: Statistical pocketbook, 2020.

Production d’électricité

L’année européenne du rail doit ainsi relever le défi d’électrification des lignes de trains d’autant plus que les entreprises ferroviaires sont les premières consommatrices d’électricité au sein des pays de la zone euro. Renforcer l’électrification des lignes de trains entraînera de facto un surplus de consommation d’électricité. Cette électrification s’inscrivant dans le pacte vert européen, les sources de production d’électricité doivent être éco-responsables, durables et propres. Dans ce sens, l’Europe possède un grand potentiel d’énergies renouvelables capables de venir répondre aux besoins supplémentaires en énergies qu’engendreraient les nouvelles lignes. Les leviers énergétiques sont les suivants :

  1. Renforcer l’éolien allemand : L’Allemagne est le premier producteur d’énergie éolienne en Europe. Il pourrait être décidé de renforcer ce réseau éolien et créer une dynamique au sein de l’UE. Il s’agirait par exemple d’implanter les lignes d’éoliennes le long des lignes de chemins de fer existants. 
  2. Promouvoir les énergies éoliennes offshore (nord de l’Europe, Pays-Bas, Danemark). Exploiter le vent marin pour créer de l’électricité qui alimente les réseaux ferroviaires nord européens et sud européens. 
  3. Renforcer le réseau photovoltaïque

Pour ce faire, les entreprises nationales de chemin de fer pourraient signer des partenariats avec les producteurs d’électricité afin de s’assurer que seule une énergie verte sera injectée sur le réseau ferroviaire. A défaut de ce partenariat, les sociétés de chemin de fer pourront après d’importants investissements financiers produire elles-même l’électricité destinée à leur réseau. Il s’agira par exemple d’installer des panneaux solaires sur les terrains sous la propriété de ces entreprises nationales. 

            Puisque les objectifs d’ici 2050 supposent une évolution des technologies au fil des années, notre organisation s’est penchée sur les innovations technologiques dans le domaine ferroviaire, notamment en ce qui concerne la propulsion hydrogène.

“Hydrogénisation” et électrification

Outre l’électrification des voix, les trains à propulsion hydrogène permettraient de réduire davantage l’émission carbone du secteur ferroviaire. La réduction des émissions dépendra de la source d’énergie utilisée pour produire l’énergie. En produisant l’hydrogène via une électrolyse consommant une énergie renouvelable, les émissions CO2eq du secteur ferroviaire se verront être réduites de 80% en faisant passer le gCO2eq/km/passager de 14g à 3.2 grammes de CO2eq/km/passager. Ceci renforcerait l’image verte du train et le placerait près du zéro émission. L’hydrogénisation des trains ne doit pas se faire aux dépens de l’électrification des lignes de trains. Des études économiques pourraient être réalisées afin de choisir la solution la plus pertinente selon la ligne de train concernée. 

Si les objectifs écologiques, économiques et industriels sont d’une importance majeure, cela n’empêche pour autant pas de penser l’intégration européenne et le rapprochement des cultures par le train.

L’idéal d’intégration européenne

Ainsi, la stratégie de mobilité intelligente que développe l’Union européenne ne s’arrête pas qu’au désir de transition verte et énergétique. En effet, dans l’imaginaire politique ou collectif, les transports sont devenus l’emblème de la dynamique d’intégration des territoires européens. La volonté d’aller toujours vers une union plus étroite et plus proche de ses citoyens s’illustre au travers du souhait d’un espace ferroviaire unique européen. Loin de considérer qu’une mobilité transfrontalière continue suffirait à construire l’Europe politique, ce serait mentir d’affirmer que les deux domaines ne sont pas intimement liés.

            En effet si “l’année européenne du rail” sonne comme un appel à uniformiser les normes de sécurité et les infrastructures singulières à chaque État-membres — dans l’extension du 4è paquet ferroviaire — elle représente surtout une occasion matérielle et symbolique unique de lier les territoires entre eux, de rapprocher les cultures nationales. 

            Et, cette volonté n’est pas nouvelle puisqu’elle intervient dans la continuité des ambitions ferroviaires de l’UE. En effet, par l’intermédiaire des fonds européens, la Commission européenne a sans cesse promu le développement des chemins de fer dès les années 80 en incitant ses membres à prendre le virage technologique de la Grande Vitesse (GV). L’exemple de l’Espagne est à ce titre très parlant. Alors que son réseau ferré était peu développé, le FEDER et le Fonds de cohésion ont financé à 25% le réseau GV en Espagne de 1986 à 2012. Ainsi lors d’un séminaire inaugural intitulé « le mode ferroviaire dans le processus d’intégration européenne » en septembre 1986, la conférence se réjouit que « l’implantation de grandes infrastructures de transport ferroviaire soit devenue un élément fondamental pour atteindre une véritable intégration européenne ». 

            L’idée de pouvoir voyager à des prix raisonnables, à grande vitesse, et ce dans toute l’Europe, a permis l’appropriation du territoire européen par ses citoyens. Voyager de capitales en capitales à la découverte des cultures propres aux État-membres en seulement quelques heures constituent un atout phare pour cette volonté de rapprochement culturel. 

            Dans cette dynamique, le projet Nightjet annoncé le 8 décembre 2020 pour relancer les trains de nuit en Europe semble répondre aux ambitions de l’année du rail. A partir de décembre 2021, les lignes Zurich-Amsterdam et Vienne-Paris seront ré-ouvertes et d’ici 2024, 26 villes européennes devraient être reliées. Ainsi selon Jean Pierre Farandou, président-directeur général de la SNCF, cette offre s’adresse notamment à un “public avec un faible pouvoir d’achat”, id est la jeunesse européenne. Il affirme que « le rail est un instrument de l’unité européenne » et son développement permet aux européens de s’approprier un espace commun. 

Ainsi le pari du rail repose sur deux dimensions des transports. La première, fonctionnelle, considérant les transports comme support essentiel pour la circulation des hommes et des biens. La seconde, une dimension politique, où les systèmes de transport représentent des instruments d’encadrement et d’unification territoriale. 

            Ainsi, comme la France, l’Allemagne ou l’Italie au XIXe siècle, l’Europe rêve d’une unité par le rail. Une unité telle que l’envisageait l’un de ses pères fondateur, Robert Schuman, dans sa célèbre déclaration de mai 1950 : une édification communautaire progressive d’une « Europe qui ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait ». Ainsi, la construction d’un espace politique passe largement par le symbolique. De ce fait, dans la représentation politique et collective, les infrastructures relient effectivement et symboliquement les territoires. Le développement d’une culture du rail ressemble donc à ces récits nationaux et fédérateurs qui fondent une construction politique homogène. 

            Cependant, force est de constater que le rail n’agit pas en moteur de changements politiques mais plutôt en renforcement à des dynamiques d’intégration politique préexistantes. En ce sens, il serait davantage pertinent d’affirmer son caractère suiviste. Le symbole qu’il constitue n’intervient que pour approfondir une construction politique déjà amorcée. Le danger réside alors dans l’interprétation rétrospective du rôle du chemin de fer dans l’émergence d’une Europe politique. Le mythe politique des « effets structurants du transport » (Jean-Marc Offner, 1993) pourrait laisser penser que l’impact du rail a induit l’intégration européenne, or cette dernière n’est en aucun cas une conséquence du développement du chemin de fer en Europe. 

De plus, cet idéal d’intégration européenne reste à nuancer en ce qui concerne son caractère extensif. En effet, les projets de lignes transnationales à grande vitesse concernent de manière quasi-exclusive l’Europe occidentale et ses pays moteurs de l’expertise ferroviaire comme l’Allemagne ou la France. A l’Est et dans les ex-républiques communistes où le développement du réseau ferroviaire n’a pas atteint un tel niveau, la plupart des fonds d’investissement se concentrent sur des projets de lignes nationales. 

Ainsi, l’unité européenne par la voie ferrée semble donc pour le moment se réaliser à deux vitesses. Reste à savoir si les dynamiques apportées par cette année européenne du rail permettront à tous les 27 de pouvoir passer à une même allure supérieure.

L’UE a donc devant elle de grands défis à relever ces prochaines décennies. Sur le plan le plus clair tout d’abord, l’augmentation de l’utilisation du train pour le transport de passagers et de fret est essentielle au plan écologique. L’UE du XXIème siècle ne peut passer à côté d’un tel défi si elle souhaite s’illustrer comme un continent moderne et qui peut se projeter sur des échelles plus grandes et plus longues. Elle doit se saisir des avancées technologiques, encourager l’innovation européenne en la matière, prendre à bras le corps les technologies comme la propulsion hydrogène ou l’hyperloop. Notre génération ne demande qu’à s’engager dans des projets aussi ambitieux si ceux-ci sont capables d’aider à la résolution des défis climatiques. De plus, l’intégration européenne par le rail comme nous l’avons exposée, si elle veut pouvoir se réaliser, a besoin de plus de projets Ouest-Est pour ne pas créer un nouveau décalage entre les nations. 

A défaut de pouvoir le faire en ces temps de crise sanitaire, nous espérons vous avoir fait voyager à travers les différentes problématiques qui traversent le continent européen et sa politique ferroviaire. Ce dossier s’inscrit dans notre volonté de vulgariser les différents enjeux de notre siècle mais aussi de proposer des solutions à ces derniers et d’encourager nos institutions à agir. L’UE a le pouvoir de saisir cette main que lui tend la jeunesse européenne en ce qui concerne le défi climatique, alors qu’attendons-nous ?

  Par Christian Dogui, Fabien Mahé, Pierre Miyalou et Benjamin Toussaint