C’est sur les douces notes de l’hymne de l’Ordre souverain de Malte que commence la troisième séance des Apéros diplomatiques par les jeunes. Du fait de la situation sanitaire, cette séance se déroule en ligne, mais les participants sont au rendez-vous ! En effet, il n’y a guère d’excuses lorsqu’il s’agit d’étudier une diplomatie aussi atypique que celle de l’Ordre souverain de Malte.
Ainsi, pour reprendre les mots de bienvenue de Mme Emilie Ngomen, « lier les jeunes aux enjeux de la représentation diplomatique et les délier des stéréotypes et idées reçues sur les relations internationales et la diplomatie » prend tout son sens lors de cette troisième séance inédite. En effet, comme le rappelle notre invité Son Excellence Monsieur François Brunagel, Ambassadeur de l’Ordre Souverain de Malte auprès du Conseil de l’Europe, « construire des relations bilatérales pour une entité nationale sans territoire est un bien grand défi ». En effet, en droit international public, l’Ordre de Malte est une « curiosité juridique ». Il n’est ni un État, ni une organisation internationale, mais une entité sui generis dotée d’une souveraineté fonctionnelle. En d’autres termes, la souveraineté de l’Ordre n’est pas établi sur un territoire défini comme l’entendait la sociologie de l’État de Max Weber, mais bien sûr un peuple et une organisation politique qui ne sert que pour des « raisons de travail », des raisons fonctionnelles. Malgré tout, de par son rapport parfois proche, parfois conflictuel, avec la papauté, les autorités italiennes ont accordé à l’Ordre un statut d’extraterritorialité sur la Villa Magistrale depuis 1869. C’est le siège du Grand Prieuré de Rome, l’une des plus anciennes institutions des membres de l’Ordre de Malte, mais aussi l’Ambassade de l’Ordre auprès de la République italienne. En ce sens, on peut considérer l’Ordre de Malte comme le plus petit État du monde !
Ainsi, SEM François Brunagel nous l’affirme, l’Ordre de Malte n’a pas l’ambition de retrouver un territoire. La symbolique est d’autant plus forte pour une entité qui met en avant le devoir de sollicitude à l’égard de toute personne, et en particulier les pauvres et les personnes en difficulté. En effet, l’Ordre souverain de Malte découle directement des hospitaliers de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem fondé par les frères Girard. L’Ordre de Malte est donc de nature religieuse catholique et est aujourd’hui une entité à vocation caritative dont les actions humanitaires sont majoritairement fléchées sur la lutte contre la pauvreté et contre la maladie. L’Ordre souverain de Malte est aujourd’hui présent dans plus de cent vingt pays à travers le monde et suit fidèlement sa devise « Tuitio Fidei et Obsequium Pauperum » (Défense de la foi et assistance aux pauvres).
Nous avons pu poser nos questions par l’intermédiaire de M.Thomas Castelli, secrétaire général de l’OJUEA et Bastien Clavel, étudiant en quatrième année à Sciences Po Strasbourg et membre de l’association Stras’diplomatie. Thomas Castelli a tout d’abord interrogé Son Excellence sur la situation des relations de l’Ordre avec le Vatican depuis l’incident diplomatique causé par le limogeage du grand chancelier Albrecht Von Boeselager en 2016.
Avant de répondre à cette question difficile, SEM Francois Brunagel a souhaité rappeler que l’Ordre souverain de Malte était totalement indépendant du Saint Siège puisqu’il élit lui-même son souverain conseil. Il reste malgré tout soumis canoniquement au pape qui délègue à un cardinal le suivi de l’Ordre souverain. Il affirme que le Cardinal Burk a fait passer la démission du grand chancelier pour une volonté du Saint-Siège. Ainsi, le grand maître a fait usage de son vœu d’obéissance pour le faire démissionner, mais comme tout reposait sur un mensonge, il a fallu que le grand maître renonce à sa charge afin de permettre le retour du grand chancelier. Le Saint siège s’est tenu à une prudente distance pendant l’affaire, mais les différentes perceptions ont débouché sur le climat diplomatique tendu que l’on a connu et sur la volonté de réviser la constitution pour l’année 2021. En effet le nombre de frat (citoyens de l’ordre souverain) diminue de plus en plus et selon SEM il est nécessaire de trouver une solution adéquate pour pallier les nouveaux enjeux institutionnels. Malgré tout, SE affirme à nouveau qu’il n’y a aucune interférence entre l’Église officielle et la gestion de l’Ordre souverain de Malte.
D’un point de vue pragmatique, les missions du Vatican et de l’Ordre souverain ne sont pas du même ordre. Le Saint Siège a un pouvoir spirituel et universel, mais n’a pas de moyen humain : son domaine d’intervention est surtout moral. Ainsi, il en appelle à la fraternité, à la compassion et autres valeurs de la religion catholique. Il n’intervient pas physiquement. Quant à l’Ordre souverain de Malte, il partage également ces idéaux, mais possède des moyens d’action : il y a plus de 12 000 chevaliers, 30 000 salariés et 100 000 bénévoles pour les actions caritatives et humanitaires dans le monde. Cette force humanitaire est déployée partout dans le monde pour la gestion d’hôpitaux, les maraudes ou l’accueil des immigrés sur l’île de Lampedusa par exemple. L’Ordre souverain agit en étroite collaboration avec l’ONU et le Conseil de l’Europe.
De fait, l’Ordre souverain de Malte est souvent comparé à l’organisation de la Croix Rouge et en effet, selon SEM François Brunel, avec certaines branches nationales de la Maltese international et notamment avec la branche italienne, une coopération forte existe entre les deux entités.
Ensuite, Bastien Clavel a interrogé SE sur les relations de l’Ordre souverain avec l’Europe (Union européenne et Conseil de l’Europe) et les possibles formes de coopération qui pouvaient exister entre ces entités politiques.
À ce sujet, SEM François Brunagel a commencé par un constat : en ce qui concerne la reconnaissance de l’ordre souverain de Malte par les États européens, le bilan est plutôt variable. Certains États lui accordent, en tant que représentant de l’Ordre souverain au Conseil de l’Europe, une représentation pleine et entière, d’autres une simple reconnaissance. En effet, dans la diplomatie, il y a deux niveaux de relations. Le premier lorsque l’entité accorde à une autre entité une simple reconnaissance d’existence. Le deuxième, le niveau plénier, lorsqu’il y échange d’ambassadeurs. On appelle ce niveau de relation la reconnaissance diplomatique avec échange d’ambassadeurs.
Même si neuf États membres de l’UE n’ont pas de relations bilatérales avec l’Ordre Souverain, ce dernier jouit d’un niveau plénier de relation avec l’Union européenne, mais ne bénéficie pas encore d’un état équivalent avec le Conseil de l’Europe et n’a pas le statut d’observateur. SEM François Brunel ne figure pas sur la liste du corps diplomatique accrédité auprès du Conseil de l’Europe, il se trouve dans l’obligation de solliciter une invitation pour pouvoir participer aux séances et réunions. C’est ainsi le grand défi diplomatique qui se dresse devant SEM François Brunagel : obtenir une reconnaissance qui garantisse à l’Ordre souverain de Malte le statut d’observateur permanent auprès du Conseil de l’Europe. Le terrain de potentielle collaboration entre les deux entités est en effet très large : droits de l’homme, personnes défavorisées, migrants, réfugiés, etc.
Ainsi, la stratégie de SE repose sur le travail de présence, qui constitue par essence le travail diplomatique et qui commence par l’envoi d’une lettre de bienvenue à tout ambassadeur nouveau ou ambassadrice nouvelle à Strasbourg. L’important est d’être présent sur le terrain, caractéristiques qui a beaucoup freiné les avancées de SEM Brunel des conséquences de la COVID-19.
Cette volonté de faire connaître et reconnaître l’ordre de Malte en Europe s’épanouit dans la réception annuelle de la fête de la Saint Jean organisée par l’ordre souverain tous les 24 juin pour laquelle tous les ambassadeurs sont conviés.
Et cette problématique de la reconnaissance nous permet de mieux cerner la spécificité du poste d’ambassadeur de l’Ordre souverain de Malte. En effet, contrairement à un ambassadeur d’État dit « classique », il travaille tout seul, bénévolement, sans collaborateurs et sur fonds propres. Ainsi, pour obtenir un statut d’observateur auprès d’un comité du Conseil de l’Europe, la mécanique est très complexe et se fait par le vote à l’unanimité. SE compte plutôt sur l’ambition de devenir directement membre permanent, mais cette volonté doit d’abord passer par l’établissement de relation bilatérale et personnelle avec les autres ambassadeurs. En effet, pour SEM Brunel, le bilatéral et le multilatéral se complètent. S’il veut obtenir la majorité qualifiée des deux tiers pour être membre permanent directement auprès du Conseil, il doit tout d’abord passer par établir des relations bilatérales solides.
Enfin, l’OJUEA a pu questionner SEM François Brunagel sur le rapport religion État et ainsi aborder les questions migratoires en Europe qui sont liées aux enjeux géostratégiques de la Méditerranée, pour lesquelles l’ordre souverain de Malte agit activement.
Notre hôte a tout d’abord rappelé que si l’ordre souverain de Malte revendiquait ses origines catholiques, ses valeurs n’étaient pas exclusives et s’adressaient à toute femme et tout homme. L’Ordre met un point d’honneur au respect de la dignité humaine, dans une dimension humaniste qui tranche parfois avec les réalités d’une société devenue trop brutale. Les actions de l’Ordre, avant d’être caritatives ou humanitaires, sont surtout humaines et mettent en avant une relation d’humain à humain. Il n’y a donc pas de distinction faite, ni par le sexe, ni par la religion, ni par aucun autre prisme de jugement.
Cette promotion des valeurs s’illustre par la présidence de Son Excellence à la tête de l’association Démocratie Construction européenne & Religions (DECERE), qui promeut la contribution des valeurs de la religion à la construction d’un monde plus fraternel dans l’Europe. Ce travail pour replacer l’humain au centre de notre système passe par un monde plus pacifique et une véritable symbiose avec toutes les religions. Le caractère exclusif ne peut plus prôner dans la religion s’il y a une réelle volonté d’un monde moins conflictuel et plus juste.
Ainsi, SEM François Brunagel l’affirme fièrement : « Partout où les Etats appelleront à la résolution pacifique des conflits, l’Ordre répondra ! ». L’Ordre soutiendra également toujours la solidarité et l’aide humanitaire, et cette position n’a aucun lien avec la religion. Ainsi, lorsque les États dits laïcs respectent les pratiques religieuses de l’Ordre souverain et donnent à ce dernier les moyens d’action (ici, la reconnaissance d’utilité publique), la coopération s’effectue sans aucune difficulté et en particulier pour l’aide aux migrants. Une rupture de cette coopération ne serait bénéfique pour aucune des parties et ce travail multilatéral demeure donc une pierre angulaire de la réponse à la question migratoire européenne.
C’est sur ce dernier thème que s’est clôturé l’ordre du jour de la troisième séance des Apéros Diplomatiques du 19 mai 2021 avec Son Excellence Monsieur François Brunagel. Les participants ont ensuite pu poser directement leurs questions à notre hôte via les réseaux sociaux et Monsieur Brunel s’est fait une joie de leur répondre. En effet, l’Ordre souverain de Malte nous semble à présent moins hermétique et mystérieux. Le challenge diplomatique de la mission de Son Excellence à Strasbourg nous a illustré les rapports de force et les différents enjeux de la représentation dans les relations internationales. Et c’est l’objectif principal de ces Apéros Diplomatiques : rendre accessible le monde intrigant de la diplomatie !