Si toutes les bonnes choses ont une fin, le bouquet final des Apéros Diplomatiques finit en apothéose ! Accueilli par Irina Dubois et l’Association du dialogue franco-russe, sur les champs Elysée, la cinquième et dernière séance du concept de l’Organisation des Jeunes pour l’Union Européenne et Africaine a brillé par la participation exceptionnelle de Monsieur Zezyulin, ministre conseiller auprès de l’ambassadeur russe à Paris.
La fin des Apéros Diplomatiques ne pouvait commencer sans les chaleureux remerciements du Président M. Mvogo et du Secrétaire adjoint, chargé des relations avec les institutions françaises M.Thomas Castelli adressés à tous les partenaires de l’évènement : le dialogue franco-russe, Stras’Diplomacy, la Radio Illa, la Région Grand Est, la Région Île-de-France, la maison des associations du XVIème arrondissement et Emma conception pour la logistique.
L’heure est ensuite venue à la présentation du pays hôte : un pays de dix sept millions de kilomètres carrés pour onze fuseaux horaire différents… L’OJUEA a nommé la Fédération de Russie ! Une puissance connue et reconnue mais pourtant mystérieuse qui nourrit bien des fantasmes. Winston Churchill disait lui-même : « La Russie est un rébus ». Ainsi, le mercredi 30 juin 2021, c’est à ce rébus que, l’OJUEA a tenté, avec humilité, de découvrir le voile. En effet, la Russie reconquit peu à peu sa puissance d’antan et s’inscrit aujourd’hui à la fois dans des problématiques européennes et africaines. Son statut dans les relations internationales pose ainsi question : est-elle une menace assumée ou un géant incompris ?
Poursuivant le schéma des Apéros Diplomatiques, l’OJUEA a pu interroger Monsieur Zezyulin sur les quatre grands thèmes que sont : la politique intérieure de la Fédération de Russie (I) ; les relations Russie- Union européenne (II) ; La puissance russe sur la scène internationale (III) et enfin les relations franco-russes (IV). La discussion était dirigée par nos talentueuses représentantes : Mme Emilie NGomen, Team Manager de l’OJUEA et Mme Ambre Kirshner, membre de l’association Stras’diplomacy.
Fédération de Russie vue de l’intérieur : politique gouvernementale ; relance économique et jeunesse
Interrogé par Emilie Ngomen sur la gestion globale du pays et les proximités entre action publique et privée, M. Zezyulin a affirmé que la situation ne différait pas des pays occidentaux. La place de la bureaucratie n’est pas plus importante en Russie et l’aide de la sphère privée peut être demandée ponctuellement comme il l’est également possible en Europe. Il précise également qu’une hiérarchie entre les ministères est impossible à déterminer même si en fonction du contexte, certains ministères et départements sont plus ou moins sollicités – le Ministère de la Santé en temps de pandémie de la COVID-19 par exemple. Par exemple le Ministère des Affaires étrangères de par la situation internationale actuelle très tendue est responsable d’un travail plus important ces dernières années.
Ainsi, à la suite de la crise sanitaire, le gouvernement a indéniablement dû faire face à une crise économique sans précédent. En effet, lors de la visioconférence de Vladimir Poutine en juin dernier, durant les quatre heures de direct, le sujet des aides économiques fut très souvent évoqué par les citoyens russes. M.Zezyulin précise donc que 35 milliards de dollars, soit 10% du budget russe pour 2020, est passé en aide public pour les entreprises et en particulier les PME. Selon lui, le gouvernement est très au fait des besoins et tente d’y répondre avec rapidité et efficacité en dépit des critiques extérieures.
Aux conséquences économiques de la crise s’ajoutent aussi le coût psychologique de la pandémie. La jeunesse, durement touchée, semblait déjà opérer une transformation post-URSS qui n’a fait que s’accélérer durant l’épidémie de COVID-19. Malgré tout, M. Zezyulin ne se dit pas convaincu par une opposition entre tradition et modernité de la jeunesse russe. En effet, les mêmes phénomènes démographiques sont à observer en France et en Russie : le vieillissement de la population rend la jeunesse vulnérable dans les sociétés. Ainsi, les jeunes russes attendent beaucoup de l’Etat, ils sont même plus optimistes que les adultes. Il y a certes eu une transformation majeure de la jeunesse par l’ouverture sur l’extérieur dans les années 90 mais cette jeunesse porte toujours les traditions les plus simples, les valeurs de base comme l’amour du pays, le patriotisme ou le respect.
Les relations Russie-Union européenne : les nœuds d’une coopération indispensable
Ambre Kirshner et Emilie Ngomen ont également pu interroger notre hôte sur les relations Russie-Union européenne. En effet, depuis 2013 et la crise ukrainienne, les relations sont très compliquées. A cela, M. Zezyulin a tenu à rappeler que pour la Russie le coup d’Etat de 2014 en Ukraine était illégitime. Ainsi, la Russie n’a pas apprécié que la Commission européenne soutienne Olesksandr Tourtcheynov, le président par intérim ukrainien. Cet acte était jugé comme de l’ingérence, qui plus est dans un pays proche de la Russie. Ainsi, la Fédération de Russie considère cette « tragédie politique et humaine » comme une tentative de « déstabilisation des frontières russes ». Par la suite, le terme « d’annexion de la Crimée » fut utilisé en Europe mais la Russie tient à rappeler qu’un référendum a manifesté le désir de la population de Crimée de se réunir avec la patrie russe. Par cet agissement, M. Zezyulin souligne l’attachement de la Russie au respect du droit international et au monde multipolaire dans lequel elle affirme appartenir. Le gel des contacts au niveau politique et le vote de sanctions par l’UE ont, selon lui, sérieusement détérioré les relations Russie-Union européenne. Il pense la Russie prête à coopérer à nouveau mais d’une « manière franche, directe et respectueuse et non pas idéologisée ». Il est optimiste quant à l’amélioration des relations diplomatiques.
La question d’une potentielle incompréhension du modèle démocratique russe a également pu être interrogée. En effet, M.Zezyulin est convaincu que la Russie n’a jamais douté de la démocratie et du sursaut démocratique qu’elle a connu il y a trente ans. Selon lui, la Russie a tous les attributs de la démocratie moderne (institutions, Cour constitutionnelle, liberté de la presse, droit de l’homme, etc.). Il ne devrait pas y avoir de hiérarchisation des démocraties, toutes doivent être respectées. En ce sens, le ministre conseiller considère qu’il peut y avoir une forme d’incompréhension de la part de l’Occident.
Ainsi, au sujet de la solution d’un retour à zéro (un reset), M.Zezyulin a rappelé que l’Union européenne restait le premier partenaire économique de la Russie et qu’il y avait des intérêts des deux cotés à que les relations s’améliorent. D’un aspect purement géographique, les deux parties partagent le même continent et sont destinées à vivre ensemble. C’est le caractère indivisible de la sécurité en Politique Internationale. Cependant, il s’accorde pour dire que les parties doivent être prêtes à un possible reset, pour avoir un regard nouveau, une ouverture d’esprit.
La Russie dans le monde : quels leviers d’influence internationale ?
Par la suite, Monsieur le ministre conseiller de l’ambassadeur de Russie a été interrogé la puissance russe à l’international et les ambitions d’influence du Grand Ours. En effet, depuis 2014, l’union économique eurasiatique a franchi un pas supplémentaire dans son processus d’intégration. Si il y avait déjà une forme préexistante de coopération grâce à l’histoire, celle-ci a été renforcée par des institutions supranationales et des mécanismes de coordination que M.Zezyulin reconnait inspiré de l’Union européenne du traité de Maastricht. La coopération russe avec ses voisins de l’est est donc en plein essor, tandis que pour l’Ouest, la Russie aimerait créer avec l’UE et l’union eurasiatique un grand espace commun européen.
Bien sûr, il aurait paru frustrant d’analyser la puissance russe sans évoquer les rapports et points de divergence avec Washington. En effet, M. Zezyulin le reconnait : au 30 juin 2021, « les relations sont au niveau le plus bas depuis la fin de la guerre froide ». La Russie n’a pas choisi cette situation, elle a simplement réagi aux démarches unilatérales des USA. Elle regrette le statut en l’état mais a bonne espoir pour une coopération plus saine pour la suite. Le sommet entre V.Poutine et J.Biden du 16 juin 2021, a permis d’étudier les domaines de coopération comme la cybersécurité notamment. Mais cette coopération n’est pas évidente quand on sait que les Etats-Unis sont sortis de quasiment tous les traités militaires internationaux, excepté sur le nucléaire. Pour l’heure, la Russie espère que le dialogue reviendra se baser sur le respect des intérêts des parties.
Enfin pour conclure sur l’influence internationale de Moscou, l’OJUEA a interrogé M.Zezyulin sur la présence russe sur le continent africain et la crainte d’une nouvelle forme de colonialisme. A cela, notre hôte a répondu très simplement « la Russie n’impose rien aux pays africains ». C’est une approche respectueuse, dans l’intérêt des pays d’Afrique concernés, qui n’a rien à voir avec un colonialisme et qui serait selon lui, incohérent avec l’anticolonialisme qu’a défendu le pays depuis le XXè siècle. La prochaine étape de cette coopération est le deuxième sommet Russie-Afrique qui abordera des questions économiques mais aussi des problématiques politiques et de société.
Les relations franco-russes : une amitié à rude épreuve ?
Enfin, le dernier thème abordé concernait les relations bilatérales franco-russes. En effet, les deux pays sont historiquement très liés. En relations internationales par exemple, M.Zezyulin s’amuse à rappeler que les correspondances de la diplomatie russe du XVIIIème et XIXème siècle s’effectuait… en français. Il a donc un lien culturel fort entre les deux pays et c’est le travail de l’ambassade russe à Paris de le mettre en avant. Cela passe par exemple par l’inauguration en septembre d’une grande exposition de la collection d’art moderne français et russe des grands mécènes et collectionneurs moscovites du début du 20ème siècle, les frères Mikhaïl et Ivan Morozov à la Fondation Louis Vuitton.
Ainsi, au-delà de son statut d’Etat Membre de l’UE, M.Zezyulin affirme que la France est un acteur clef sur la scène européenne et internationale. Elle partage avec la Russie beaucoup de domaine de coopération comme la stabilité stratégique, la maitrise de l’armement, le cyber, la lutte contre le terrorisme, le dialogue sur l’Arctique, etc. Les relations bilatérales ont connu un nouvel élan depuis le sommet du fort de Brégançon entre V.Poutine et E.Macron pour entamer un dialogue stratégique de sécurité européenne. S’il peut parfois y avoir l’impression que le dialogue n’existe plus, le ministre conseiller de l’ambassadeur russe assure que ce n’est en réalité pas le cas. Le bilatéralisme ne se limite pas qu’aux diplomates et lorsque les professionnels de chaque secteur stratégique se rencontrent, cela prouve aussi le respect mutuel entre les deux pays.
Avant de conclure, notre hôte a pu nous présenter quelques actions concrètes de l’ambassade de Russie en France comme l’exportation pour la communauté russe de l’Hexagone d’une initiative, née du peuple russe, à savoir la marche du Régiment Immortel. L’organisation, tous les 9 mai, de cette mémoire pour les ancêtres veut célébrer le Jour de la Victoire et souder la communauté russe de France.
C’est ainsi que se finit la première édition des Apéros Diplomatiques de l’Organisation des Jeunes pour l’Union Européenne et Africaine. Comme le veut la coutume, les jeunes spectateurs de cette session ont pu poser leurs questions à Monsieur Zezyulin qui y a répondu avec beaucoup de bienveillance et d’intérêt. S’en est suivi le traditionnel apéritif, pièce maitresse du concept de l’OJUEA et ô combien symbolique pour cette reprise des séances en présentiel. Cette soirée a donc ponctué les 5 séances d’exception que nous avons pu partager avec cinq diplomates d’une grande qualité. Pour finir, Monsieur le Président de l’OJUEA Gabriel Saint Volo n’a pas pu s’empêcher de clamer haut et fort : « Les Apéros Diplomatiques reviendront… dès la rentrée prochaine ! ».
Ce compte-rendu a été rédigé par Monsieur Fabien MAHE, sous-directeur des relations avec les institutions européennes, sous la direction de Monsieur Benjamin TOUSSAINT, directeur du département des affaires européennes.