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La Politique étrangère de sécurité commune au Parlement européen, quand stratégie et idéologie se confrontent et se conjuguent

Enjeux géostratégiques et idéologiques d’une définition parlementaire européenne de la PESC

(document pdf en pièce jointe avec l’ensemble des annotations en pied de page).

A l’heure où les candidats au poste de Haut(e) représentant(e) de l’Union européenne aux affaires étrangères se précisent et où la France manifeste son refus d’intégrer l’Albanie et la Macédoine du Nord à l’Union européenne (UE), il devient plus qu’important de rappeler l’origine et la structure des débats actuels sur la politique étrangère de l’UE, établis entre autres au niveau parlementaire en juillet 2019, à l’occasion des premières rencontres de la nouvelle législature du Parlement européen.

Avec deux sessions plénières ce mois-là, dont une relative à l’approbation de la Présidence de la Commission européenne, ce début de neuvième législature du Parlement européen a vu se cristallier de nombreux enjeux cruciaux pour l’Europe. Parmi eux, la Politique étrangère de sécurité commune (PESC) a concentré les divergences.

La PESC est en effet le moyen pour l’Union européenne de coordonner les politiques étrangères de ses Etats-membres. De fait, elle est extrêmement sujette à controverse. Son portefeuille est attribué une Commissaire européenne : aujourd’hui Mme Frederica Mogherini, Haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (qui, malgré l’élection d’une nouvelle Commission, exercera encore son mandat pendant quelques mois). Ainsi, la définition de la PESC implique en premier lieu la Commission européenne, mais aussi le Conseil européen qui désigne indirectement le ou la Haut(e) représentant(e), tout comme le Parlement européen qui lui, a un rôle consultatif essentiel. Au niveau parlementaire, nombreuses sont ainsi les composantes du Parlement européen, relatives aux affaires internationales. On peut donc évidemment y compter la Commission des affaires étrangères, mais aussi la délégation du Parlement européen au Parlement panafricain, par exemple. Alors, du fait de sa composition en groupes politiques, les débats en son sein sont à la fois tout à fait idéologiques, mais aussi stratégiques (au sens de « Realpolitik »). C’est donc dans cette mesure que le rôle du parlement nous intéresse particulièrement dans la définition de la PESC. En effet, idéalisme (idéologies politiques) et pragmatisme (stratégie) s’y conjuguent, tout autant qu’ils s’y confrontent. Lors des plénières du mois de juillet, les groupes ont alors eu l’occasion d’interroger Mme Mogherini sur l’orientation qu’elle souhaite donner à la PESC, puis d’en débattre.

Quelles sont donc les orientations envisagées aujourd’hui par les dirigeants de l’Union ? Quels en sont les points de tensions et où s’y positionnent les acteurs européens, qu’ils soient institutionnels ou politiques ? 

Les débats parlementaires sur l’orientation de la PESC sont-ils plus idéologiques ou pragmatiques ? Finalement, que reflètera la PESC de l’Union européenne ?

On peut diviser les dossiers de traités durant ces plénières selon la base d’un critère stratégique : celui de l’éloignement géographique. En effet, certains enjeux ont concerné des problématiques frontalières à l’Union européenne (1.), tandis que d’autres ont abordé des enjeux géographiquement plus éloignés (2.).

  1. Une focalisation sur les frontières

Par problématiques « frontalières », nous désignons ici celles dont les événements se déroulent aux frontières propres des pays de l’UE, mais aussi celles qui sont situées dans l’espace proche de l’Union, et qui influencent justement lesdites problématiques frontalières. Ainsi, les frontières directes de l’Union sont, au Sud, marquées par la Méditerranée, à l’Est, par l’Ukraine et la Russie et sur le continent, par les Balkans. En ce qui concerne l’espace proche de l’UE, ont été traités dans les débats, deux sujets principaux : la situation en Syrie et celle en Afrique (à la fois du Nord et Subsaharienne). En effet, ces deux régions sont étroitement liées à l’enjeu migratoire auquel l’UE doit aujourd’hui faire face à ses frontières, et entrent alors dans cette catégorie de « régions frontalières ». En somme, que ce soit sur l’immigration, ou sur les relations inter-étatiques en tant que telles, les décideurs européens ont confronté leurs positions. Les uns ont prôné une action diplomatique et stratégique assez « ouverte » et conciliante (1.1.), tandis que les autres en ont appelé à plus de fermeté (2.2.).

  1. 1.1. Des positions « ouvertes » et conciliantes

Par « ouverture », nous entendons ici autant une certaine conciliation envers les pays candidats à l’adhésion à l’Union, qu’à une promotion des valeurs libérales de l’UE dans sa politique étrangère (par exemple, en prônant l’accueil des migrants). Toutefois, même au sein de ces acteurs « ouverts », il existe une différence d’approche. Ainsi, tandis que certains sont pour une ouverture assez large avec peu de régulation (1.1.1.), d’autres soutiennent une position plus prudente (1.1.2.). 

  1. Pour une ouverture large 

Sur l’immigration, les Socialistes, les Libéraux et la Commission européenne ont adopté une attitude d’ouverture, c’est-à-dire, de large accueil des migrants. Ainsi, les Socialistes ont souligné qu’en vertu de l’inacceptabilité de la mort de « milliers de personnes aux portes de l’Europe », dont dans des camps en Libye, il fallait une gestion commune de l’immigration, de même que davantage de partenariats avec nos voisins afin de, par exemple, coordonner ce qu’il « se passait en Afrique ». Les Socialistes semblent donc adopter l’idée selon laquelle il faille, pour pouvoir accueillir dignement les migrants, résoudre les problèmes qui causent l’émigration vers l’Europe dans les pays d’émigration et de transit (cf. note n°2). N’ayant ainsi jamais parlé de contrôles aux frontières de l’Europe et considérant leur position générale sur l’immigration, on peut raisonnablement imaginer que la gauche européenne prône un accueil assez large des migrants, un accueil qui ferait primer l’entrée sur le territoire européen, sur le contrôle de cette entrée.

La position des Socialistes, que ce soit en termes de stratégie ou d’idéologie, est relativement partagée par le groupe Renew Europe (RE) et la Commission européenne. Ainsi, RE a souligné que les barrières aux frontières n’allaient pas résoudre le problème de l’immigration illégale et que, pour concilier immigration et sécurité, la Commission européenne devait résoudre ledit problème « à la source » (tout comme ce que proposent les Socialistes). C’est par ailleurs effectivement ce qu’a proposé cette dernière. Selon la Commission européenne, la résolution de la crise migratoire passera « par la diplomatie, la coopération internationale et l’entraide mutuelle » et à ce titre, elle a souligné que 26 accords de retour avaient été négociés avec des pays « transitoires » (cf. note n°2). En outre, en ce qui concerne les interventions « à la source », la Commission a aussi réaffirmé son adhésion à cette stratégie. Ceci, en défendant par exemple les interventions européennes au Mali et en Afrique centrale dans la mesure où d’une part, les deux pays concernés avaient « demandé » l’aide de l’Europe et d’autre part, dans la mesure où selon elle, la présence de soldats européens permettrait, malgré tout, d’éviter une aggravation de la situation. Concrètement, la Commission a réaffirmé son engagement dans cette stratégie d’interventionnisme africain, en rappelant que les fonds pour les partenariats avec l’Afrique avaient augmenté de 23% dans le nouveau cadre financier pluriannuel. Elle compte en effet y « favoriser la paix, le développement socio-économique et l’assistance humanitaire ». En somme, la Commission estime que de manière générale, il faut davantage collaborer avec l’Afrique, notamment à travers le dialogue avec l’Union africaine. Mais la Commission ne restreint pas son interventionnisme à la frontière africaine de l’Union. Elle soutient donc aussi par exemple l’action européenne en faveur des migrants en Syrie et en Méditerranée, regrettant ainsi la fin des missions européennes de surveillance marines telles que « Poséidon » ou « Triton ».

En outre, la Commission souhaite renforcer l’action extérieure de l’UE en augmentant de 30% les fonds alloués à ce domaine. Ces fonds seraient alors utilisés pour prévenir et réguler l’immigration et pour élargir l’Union européenne, notamment aux pays des Balkans.

La Commission souhaite en effet « donner une perspective réellement crédible » d’adhésion à la Serbie, à la Macédoine du Nord et dans une moindre mesure, à l’Albanie. Sur ce sujet, ils sont totalement rejoints par les Socialistes. Certains orateurs de divers groupes ayant toutefois émis des doutes et des oppositions à cette adhésion, la Commission a maintenu sa position et semble aussi (au même titre que les Socialistes, sur l’immigration) prioriser l’entrée (dans l’Union), sur le contrôle à l’entrée. Elle imagine certainement que l’adhésion de ces pays balkaniques à l’Union accélérerait la résolution des problèmes (par exemple : faible prospérité économique, problèmes sociaux prégnants, etc.) qui, a priori, auraient justement empêché cette adhésion (cf. conclusion, sur les critères d’adhésion à l’Union européenne). Alors, la Commission adopte une logique somme toute assez singulière : l’Europe devrait accepter plus vite, plus d’Etats-membres, afin de résoudre les problèmes de ces derniers plus rapidement et ainsi, parvenir plus tôt à une situation de convergence. 

Le raisonnement de la Commission implique ainsi de réduire les contrôles à l’entrée de l’Union, que ce soit en matière d’élargissement ou d’immigration. A contrario, certains, sans prôner une fermeture totale, en appellent en revanche à plus de prudence sur ces sujets.

  1. Pour une ouverture plus prudente

En d’autres termes, la position de la Commission sur l’élargissement ne fait pas l’unanimité. Par exemple, le Parti populaire européen (PPE) est réticent à une adhésion « précipitée » des Balkans à l’Union, de même qu’il souhaiterait que seuls des pays-membres de l’OTAN n’intègrent l’Union (éliminant donc de facto la Serbie et la Macédoine du Nord). En revanche, le PPE soutient donc qu’il faut plutôt « sécuriser » les Balkans occidentaux ainsi que les autres voisins de l’UE, en augmentant par exemple les efforts sur les Politiques de voisinage orientales et méridionales. 

La position « prudente » du PPE se dessine également sur la question migratoire. En effet, sans en appeler à la fermeture des frontières de l’Union, le PPE souhaite tout de même renforcer l’agence Frontex, chargée de la coordination des politiques frontalières des Etas-membres, là où par exemple, les Socialistes préfèrent renforcer des ONG humanitaires telles que See Watch (d’où leurs prises de positions récurrentes en faveur de Mme Rackete). Alors, si l’on compare les groupes politiques, tandis que les Socialistes proposent tout d’abord de « secourir » les migrants, le PPE maintient sa position selon laquelle il faille, avant tout accueil, d’abord « maîtriser » les flux migratoire.

En d’autres termes, le PPE prône une politique frontalière plus axée sur le contrôle. Pour autant il n’aborde pas les problématiques identitaires qui elles, sont plutôt portées par l’extrême droite. En effet, d’autres groupes ont adopté une position non pas mesurément ouverte comme le PPE, mais pratiquement totalement fermée.

  1. 1.2. Des positions de fermeté … et de fermeture

Les Conservateurs et l’Extrême-droite européenne ont donc développé un discours principalement axé sur la protection des citoyens européens et de leurs identités nationales, lesquelles seraient menacées par l’immigration. Ainsi, Identité et démocratie (ID, à l’extrême droite de l’hémicycle) affirme par exemple que l’Europe s’est « soumise à l’islamisme ». Cette « soumission » mettant donc les citoyens européens en danger, leur rhétorique soutient que les frontières de l’Union et de ses Etats auraient besoin de plus de contrôles et restrictions. Ce serait alors par une « Europe forteresse » (idée donc, selon laquelle l’Union européenne devrait restreindre, voire totalement empêcher, l’arrivée de migrants) que l’Union pourrait assurer la sécurité de ses concitoyens, face à ces flux migratoires « non-réglementés ».

Quant aux relations inter-étatiques (relatives à l’élargissement ou à la stricte diplomatie ; ici, avec les voisins proches), les positions de fermeté et de fermeture sont plus disparates au sein des groupes. Par exemple, si les Conservateurs et réformistes européens (CRE, droite conservatrice) sont certes tout autant opposés à l’élargissement qu’à l’immigration (ils justifient par exemple la non-adhésion de la Serbie en mettant en exergue le refus de ce pays de collaborer avec le Tribunal pénal international de La Haye pour le jugement des criminels de guerre de la guerre de Yougoslavie), des groupes plus « modérés », voire de gauche, n’hésitent pas à demander des mesures fortes en termes de politique étrangère avec les voisins proches de l’Union. 

L’exemple le plus frappant est sans doute celui du groupe RE qui souhaite une armée européenne pour « protéger l’Europe », aboutissement selon lui final, de la stratégie commune de politique étrangère. Mais même si cette proposition divise (l’extrême gauche se disant par exemple « effrayée par la perspective belliciste de cette armée » et affirmant qu’en revanche l’UE devait avant tout être économique et pacifique et pour ce faire, qu’elle devrait plutôt investir dans la lutte contre la misère et donc, dans les structures sociales, pour instaurer la paix, que dans une force armée commune), d’autres sujets sont plus consensuels lorsqu’il s’agit d’être ferme. C’est notamment le cas de la Turquie. Sur la question Turque, il est en effet remarquable que des groupes généralement totalement opposés, ici : ID et la GUE, souhaitent arriver aux mêmes fins, à savoir : la fin de l’occupation turque de la Chypre du Nord et l’arrêt des patrouilles militaires navales turques au large des côtes chypriotes. En revanche, ils s’opposent tout de même sur la manière d’y parvenir. Tandis que la GUE appelle à une reprise des négociations, ID adopte un discours très ferme face à la Turquie.

Toutefois, la Turquie semble faire office d’exception et beaucoup d’autres sujets divisent. C’est notamment le cas de la Russie. En effet, tandis que ID souhaite « coopérer » avec la Russie en remettant par exemple en cause les sanctions à son égard afin de « s’épanouir avec elle » (se plaçant par ailleurs d’office dans une position anti-ukrainienne), les SD a rappelé « qu’il ne fallait pas sous-estimer la menace de la Russie sur l’Ukraine » et que la libération des prisonniers politiques Ukrainiens était non-négociable. La position pro-ukrainienne générale des SD est aussi soutenue par la Commission, qui définit la libération des marins ukrainiens comme non-négociale, et par le PPE qui, lorsqu’il rappelle ne vouloir intégrer que des pays-membres de l’OTAN à l’UE, justifie surtout cette proposition par la menace militaire que représenterait la Russie depuis l’invasion de la Crimée en 2014. De même, le PPE, sans mentionner la Russie, regrette également les irrégularités telles que le harcèlement d’intellectuels ou la création de partis fantoches (pour diviser les voix des électeurs) dans l’organisation des élections anticipées prévues en Ukraine.

En somme, malgré les positions « fermes » d’autres groupes sur certains sujets, ID demeure le groupe qui prend une telle position dans le plus grand nombre de dossiers. Il en est par exemple également ainsi de la critique de l’interventionnisme européen à l’international, notamment en Syrie (ID affirmant peut-être, ici encore, son affection pour la Russie), ainsi que de l’accord du CETA (ID soutenant donc une position commerciale « ferme » vis-à-vis du Canada). En effet, il a notamment été question du CETA car les débats ont aussi abordé des questions plus lointaines, telles que les relations transatlantiques en général, ou encore les relations euro-orientales.

  1. Une action au-delà de l’horizon continental

Durant ces Plénières du Parlement européen, se sont donc aussi imposées des questions géopolitiques qui outrepassaient le simple voisinage géographique de l’Europe. C’est ainsi que le lien entre l’UE et les Etats-Unis, ainsi que celui qu’elle entretient avec les pays d’Amérique du Sud, ont été abordés, de même que l’a été l’implication de l’Union pour les Droits de l’homme à travers le monde.

  1. 2.1. La question du lien transatlantique 

Schématiquement, la question sous-jacente à tous les débats sur les relations américano-européennes a été de savoir si oui ou non, ce lien était dépassé. En d’autres termes : l’Union européenne doit-elle renforcer et maintenir son alliance historique avec les pays américains, ou doit-elle chercher des alliés sur d’autres continents ? Parmi les adeptes de la première proposition, se trouvent la Commission européenne, RE, le PPE et ECR. A contrario, la position inverse a été défendue, de manière plus ou moins directe, par la GUE et les SD.

Ainsi, Mesdames Mogherini et Von der Leyen en ont appelé à une coopération militaire renforcée avec les Etats-Unis. RE, s’il adhère à cette idée, a toutefois introduit une nuance à ce sujet en rappelant que, sans quitter l’OTAN, l’UE devait avoir plus conscience de son rôle « pacificateur » ; rhétorique impliquant de facto une certaine autonomisation vis-à-vis de l’OTAN et donc, des Etats-Unis.

D’autre part, la coopération euro-américaine a été défendue sur d’autres sujets. Le PPE a ainsi pris position pour la souveraineté étasunienne, en demandant un désengagement de l’Union des questions relatives à l’immigration vers les Etats-Unis à travers la frontière mexicaine, affirmant « [qu’] on ne peut pas demander aux Etats-Unis de modifier leur légalité et leurs [politiques des] frontières ». Par ailleurs, le PPE a réaffirmé son soutien à Israël, grand allié des Etats-Unis, en demandant que les relations UE-Israël soient maintenues, au motif que ce pays serait « la seule démocratie de la région » (le Moyen Orient).

Il convient toutefois de souligner certaines réticences à ce lien euro-etasunien, en nuançant tout d’abord les propos de la Commission, puis en introduisant les positions anti-américaines de certaines groupes politiques. Ces méfiances se sont cristallisées sur le dossier du nucléaire Iranien. En effet, en rappelant qu’il était important de préserver l’accord sur le nucléaire iranien, la Commission a pris position pour l’Iran et donc, contre les Etats-Unis. Sur ce point, elle est tout à fait rejointe par les SD et encore plus par la GUE, laquelle souhaite encore renforcer la conciliation de l’UE vers l’Iran, en demandant la levée des sanctions (économiques) systématiques à l’égard du pays de l’Ayatollah.

En outre, les débats sur les relations avec l’Amérique du Sud (ici incarnée par le Mercosur) ont aussi investi l’hémicycle et ont permis à certains groupes d’exprimer leur méfiance par rapport au lien transatlantique de manière générale (c’est-à-dire, outrepassant les Etats-Unis). C’est ainsi que par exemple, l’ECR a exprimé sa volonté de créer un accord sur les prix avec les Mercosur, au détriment d’une simplification des négociations commerciales avec l’Amérique du Sud.

  1. 2.2. Quelle implication de l’Union pour les Droits de l’homme à travers le monde ?

Sur les questions internationales de Droits de l’homme plus qu’ailleurs, les positionnements des acteurs européens semblent hautement liés au dossier traité. Ainsi, tandis que le débat sur le Venezuela cristallisait des divergences quasi-irréconciliables, certaines autres crises humanitaires internationales n’ont pas suscité beaucoup de tergiversations. 

Tout d’abord, tandis que le PPE et la Commission souhaitaient maintenir l’implication de l’UE dans la crise vénézuélienne, l’extrême-gauche a manifesté sa volonté de désengagement. Par exemple, la GUE-NDL a demandé de retirer la résolution de débat sur cette crise, au prétexte qu’aujourd’hui, les négociations entre les différentes parties sont engagées. Le Parlement ne devrait donc plus s’y immiscer. Cette requête a alors été rejetée par le PPE qui a justifié sa position en invoquant la « situation dramatique » des réfugiés dans la région. En outre, c’est ici encore la metteuse en œuvre de la politique étrangère de l’Union, la Commission européenne, qui semblait la plus impliquée dans la crise vénézuélienne. Elle affirmait en effet vouloir aidecontribuer à une transition démocratique, en faisant en sorte que l’Union européenne, sans être directement médiatrice, puisse poser les conditions d’un dialogue plus efficace entre les parties. Ainsi, elle a rappelé que sept millions de personnes avaient besoin d’aide, que 3,5 millions étaient en état de sous-nutrition et que les quatre millions de réfugiés déstabilisaient la région tout entière. C’est donc pour stopper les violations des Droits de l’homme en garantissant un accès au personnel humanitaire, pour organiser des nouvelles élections, afin de re-stabiliser la région, que la Commission européenne dit vouloir maintenir l’implication de l’UE dans la médiation et l’aide au Venezuela. 

Moins controversés, d’autres sujets ont été traités de manière plus subsidiaire et ne semblaient (du moins, pour l’instant) pas faire l’objet d’autant d’attention que le Venezuela. C’est ainsi qu’assez discrètement, RC a appelé à ne pas faire de « partenariat complaisant » avec les pays qui « encouragent indirectement la persécution des Chrétiens en soutenant l’islamisme », faisant ici certainement référence à l’Arabie saoudite qui, à travers des centres de formation à l’Islam présents à travers le monde, est parfois accusée de diffuser un wahabitisme rigoriste qui encourageraient certains individus à adhérer à un islamisme radical, voire à une conception belliciste et violente du Jihad. 

La Commission, quant à elle, a mentionné vouloir aider les Palestiniens et les Afghans au Moyen Orient, de même qu’elle a annoncé suivre de très près ce qu’il se passait à Hong Kong ; point sur lequel elle est rejointe par les SD qui souhaitent mettre la Chine « sous le feu des projecteurs » dans l’hypothèse où elle violerait les Droits de l’homme des Hongkongais lors des répressions des manifestations « pro-démocratiques » de la presqu’île. 

Enfin, parmi les autres positions qui n’ont pas trouvé beaucoup de résistance dans l’assemblée parlementaire, la Commission européenne a réaffirmé son souhait de s’investir davantage pour le développement durable et la cybersécurité, de même que l’augmentation de sa collaboration avec le Conseil de sécurité des Nations unies.

Rétrospective historique et conclusions

Jusqu’alors, la politique extérieure de l’Union était historiquement assez ouverte, même si elle restait plutôt axée sur son environnement proche. Cette orientation régionale transparaît par exemple limpidement dans l’importance historique que revêtent les Politiques européennes de voisinage, de même la philosophie d’ouverture de l’Union explique la tardiveté du renforcement de sa « fermeture » immigratoire (ceci, dans la mesure où ce n’est que depuis 2012-2015, à savoir : des débuts du Printemps arabe au summum de la crise migratoire, que l’Union européenne a restreint sa politique d’accueil des migrants). Également, le scepticisme européen sur l’élargissement semble aujourd’hui plus prégnant qu’auparavant. Si on avait autrefois accueilli à bras ouverts les pays qui sortaient d’un régime dictatorial (dans un premier temps, l’Espagne, la Grèce et le Portugal et dans un second temps, les pays de l’ex-bloc communiste), il semble l’on soit devenu plus réticent à accepter de nouveaux candidats.

A cet égard, on peut remarquer une évolution de l’importance des critères d’adhésion à l’UE, laquelle explique certainement cette nouvelle réticence à l’élargissement. Depuis le Traité de Copenhague de 1993, on compte trois critères principaux et un critère additionnel qui conditionnent l’adhésion à l’Union. Les trois premiers critères sont : politiques, économiques et juridiques, et le critère additionnel concerne la capacité d’absorption de l’UE (en d’autres termes, sa capacité économique et institutionnelle à intégrer un nouvel Etat dans son marché et dans son système décisionnel). Auparavant, l’évaluation politique des Etats semblait primer. En effet, aucun des pays précités n’était réellement économiquement prêt à adhérer à l’UE (que ce soit en raison d’une falsification des comptes, telle que l’a faite la Grèce, ou pour une réelle déficience économique, à l’instar de la Bulgarie et de la Roumanie). Aujourd’hui en revanche, le critère économique, ainsi que la capacité d’absorption de l’UE et voire même un certain critère social, semblent avoir gagné en influence. Cette influence nouvelle transparaît par exemple dans l’hésitation à intégrer les pays des Balkans dans l’Union, débat dans lequel priment les considérations économiques (certains affirment que ces pays ont une économie encore trop faible pour adhérer à l’Union), décisionnelles (d’autres estiment que décider avec 27-28 Etats-membres, tel que c’est le cas aujourd’hui, est déjà assez complexe) et sociales (d’autres encore, sont inquiets de certaines pratiques qui ont cours chez certaines populations des Balkans. Par exemple, alors que l’Albanie figure parmi le peloton de tête des futurs adhérents, la pratique de la vendetta dans ce pays, inquiète). Cela étant, il convient de rappeler que même si ces trois derniers critères semblent avoir gagné en importance, le critère politique n’en n’a pas pour autant totalement disparu. Il s’exprime par exemple dans l’impossible adhésion du Kosovo à l’UE du fait de sa non-reconnaissance diplomatique par bon nombre d’Etats européens, ainsi que dans l’accroissement de la probabilité d’adhésion de la Macédoine du Nord dès lors qu’a été résolue la « querelle du nom ». Pour autant, le critère politique, s’il reste essentiel, a malgré tout largement perdu en influence. Il n’en demeure pas moins que la politique internationale de l’Union semble prendre un virage plus « ferme » vis-à-vis des Etats auxquels elle a affaire. 

En somme, si l’on met cette évolution en confrontation avec les questionnements liés aux autres implications internationales de l’Union telles que la crise migratoire, les ingérences pour les Droits de l’homme et ses partenariats internationaux, la PESC devra réponse à une question fondamentale : l’UE doit-elle sortir de sa logique historique d’ouverture et de proximité ? En d’autres termes, doit-elle se concentrer sur son espace proche ou au contraire, se projeter dans des considérations géographiquement plus lointaines ? Doit-elle raffermir sa politique frontalière (donc, en matière d’immigration et de relations interétatiques) ou doit-elle lâcher du lest et être plus conciliante ? 

Il est intéressant de noter qu’à ce propos, idéologies politiques et positionnements stratégiques ne coïncident pas toujours. Ainsi, si les idéologies des groupes politiques interviennent dans les questions relatives à l’ouverture et aux stratégies d’alliances internationales, elles sont en revanche absentes dans le choix d’une PESC des frontières ou de l’éloignement. Mais c’est justement à propos des positions stratégiques influencées par les idéologies qu’apparaît tout l’intérêt des débats de la PESC au Parlement européen. En d’autres termes, les dilemmes de la PESC sont idéologiques dans la mesure où par exemple, le soutien à un Etat apparait hautement corrélé avec l’adhésion ou non d’un groupe politique à l’idéologie du régime en place (l’extrême gauche prenant donc position pour le gouvernement vénézuélien socialiste de Maduro ; l’extrême droite affirmant son soutien à Israël, ennemi juré de nombreux « Etats musulmans » ; les Libéraux et la droite conservatrice soutenant respectivement Etats-Unis en tant que pays libéral, ainsi que le conservatisme de leur actuel Président), ainsi que dans celle où la promotion de « l’ouverture » ou de la « fermeture » de l’Union est tout autant idéologiquement conditionnée (les groupes se revendiquant d’un héritage humaniste tels que la Gauche, les Libéraux et dans une certaine mesure, la Droite, soutiennent l’accueil des migrants, tandis que l’extrême droite revendiquée nationaliste, s’y oppose. De même, cette opposition apparait lorsque la droite « traditionnelle » souhaite être plus prudente sur l’élargissement, tandis que les Libéraux paneuropéens y sont plus enthousiastes, etc.). 

Plus concrètement, parmi les choix auxquels la PESC est aujourd’hui confrontée, figurent entre autres les questions suivantes :

L’Union doit-elle être pro-Russie ou pro-Etats-Unis ? Pro-Israël ou pro-Palestine ? Doit-elle abandonner ses anciennes alliances au motif qu’elles seraient obsolètes, ou doit-elle construire sa diplomatie sur un tronc historique qui demeurerait suffisamment fiable ?

Aussi, doit-elle poursuivre, voire élargir, l’accueil des réfugiés ou doit-elle fermer ses frontières ? En d’autres termes, doit-elle infléchir ses valeurs d’accueil pour des raisons pragmatiques, ou doit-elle conforter leur inaliénabilité ?

Enfin, sa diplomatie doit-elle davantage se politiser, ou rester strictement économique ? Ainsi, devrait-elle par exemple, ou non, s’impliquer dans la question du respect des Droits de l’homme au Venezuela ou à Hong Kong ?

Très synthétiquement, l’Union européenne doit répondre à une question : quelles valeurs doit-elle défendre, et avec quel niveau d’intégration ?

La première implication de cette problématique est nouvelle. Auparavant, on ne se questionnait pas tant sur les valeurs de l’Union, que simplement sur son niveau d’intégration. Aujourd’hui en revanche, certains perçoivent les valeurs libérales de l’article 2 du TUE comme un frein à l’action de l’UE et introduisent donc ladite question au cœur du débat. La PESC apparaît donc comme une matrice des tiraillements, finalement plus idéologiques que pragmatiques, auxquels l’Union européenne est aujourd’hui confrontée. C’est donc dans cette mesure que l’on peut sans équivoque, affirmer que la PESC, que l’on pourrait donc a priori penser strictement « pragmatique », est en réalité un important miroir de l’état idéologique de l’Union européenne.

  • David ANTONI
  • Chargé des affaires européennes, 
  • Organisation des jeunes pour l’Union européenne et africaine

Rentrée 2019

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